Les plans cadastraux
Les plans cadastraux du 19ème siècle dans le Jura : un travail de titan méconnu
Article paru dans L'HOTA, revue publiée par l'Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Rural Jurassien, N° 13, 1989
Aujourd'hui, faire appel au cadastre est devenu, pour le propriétaire ou pour les autorités communales et cantonales une opération presque courante. C'est ainsi que, dans le canton du Jura, ce ne sont pas moins de 350 mutations à la propriété et 600 immatriculations de bâtiments qui sont enregistrées chaque année. Quant aux demandes d'extraits de plans, on peut les estimer à près de 1500 par an.
Demain, la technologie, l'informatique en particulier, permettra d'accéder de manière encore plus souple et décentralisée à ces informations foncières qui, numérisées, pourront être consultées sous forme de plans ou de listes sur la plupart des écrans d'ordinateurs, dans les administrations ou les bureaux techniques, privés ou publics.
Hier, et là est le sujet de notre admiration, les moyens d'information foncière étaient déjà remarquablement développés.
Notre intention n'est pas de faire ici oeuvre d'historien ou d'archiviste; mais comme technicien du cadastre, nous souhaitons éveiller l'intérêt et l'attention sur une période captivante et, si possible, susciter des recherches plus poussées pour éclairer un chapitre un peu oublié de notre histoire.
Les bases historiques de la mensuration parcellaire
Au Moyen Âge, la propriété foncière est essentiellement l'affaire de quelques seigneurs. Les frontières sont naturelles (crêtes de montagnes, rivières, ...) ou traditionnelles et ethniques (frontière des langues, ...) et n'ont donc pas besoin d'autre matérialisation que de quelques bornes-
Quant à la perception de l'impôt, basée sur une quote-
Mutatis mutandis, la situation restera à peu de chose près la même jusqu'à la Révolution française.
Une propriété foncière à inventorier
1789 fait tomber les droits fonciers des seigneurs et distribue le sol au peuple (les spécialistes me pardonneront ce raccourci audacieux!). L'État "populaire" et démocratique davantage besoin de rentrées fiscales en espèces sonnantes et trébuchantes que de dîmes payées en blé ou en pommes. Il va donc prélever ses ressources sur la nouvelle fortune personnelle que constitue la propriété sous forme de taxes foncières. Il faudra donc établir des registres de propriétés, des cadastres comme les appelaient déjà les Romains.
Mais cet inventaire purement littéral montre bientôt ses limites. La nécessité de disposer d'une représentation graphique des propriétés afin de mieux en estimer la valeur et la surface se fait sentir : c'est alors que les "mappes" ou plans cadastraux, ou encore plans parcellaires font leur apparition dans le Milanais dès 1718 puis en Savoie dès 1728.
Le Jura ne reste pas en arrière. Alors que notre région est française, l'arrêté du Gouvernement du 27 vendémiaire an XII (20 octobre 1803) va ordonner la mensuration du territoire. Tout cela se passe dans l'ambiance du nouveau droit foncier qui sera formalisé par le code Napoléon. Ici-
Du cadastre fiscal au cadastre juridique
Le nouveau droit foncier engendre la nécessité de disposer d'instruments juridiques adéquats. Il ne s'agit plus seulement de garantir l'égalité et la justice fiscale, mais encore d'assurer la pérennité des droits du propriétaire, surtout quand il entre -
Les instruments et les méthodes
L'arpenteur de l'époque dispose de méthodes qui paraissent rudimentaires en regard de la technologie moderne, mais dont l'efficacité et la précision font encore notre admiration actuellement.
La méthode orthogonale
La méthode consiste à mesurer, sur une base, les distances perpendiculaires (orthogonales) entre un point et cette base. On utilisera pour la mesure des distances la chaîne d'arpenteur (actuellement le ruban métrique ou la chevillère)
fig 1, Chaîne d'arpenteur
et pour les angles droits, on utilise l'équerre ou squadro, cylindre de bois ou de laiton fixé sur un pied permettant de le planter en terre; sa partie supérieure est entaillée de quatre fentes perpendiculaires qui servent à viser.
fig. 2, Équerre d'arpenteur
L'ouvrage de Lodovico Perini, intitulé Geometria Pratica en donne les illustrations suivantes :
fig 3, arpenteurs lors d'un levé orthogonal (1757)
Cette méthode semble avoir été peu utilisée dans le Jura, si ce n'est dans la période de 1900 à 1915. Cela est sans doute dû aux dimensions du terrain ainsi qu'à la topographie et la couverture du sol jurassien qui rendent cette méthode peu rentable.
La planchette
Cette méthode utilise une table posée sur un trépied, sur laquelle se déplace un viseur (alidade) que l'on oriente en direction de l'objet à lever. On trace alors directement la direction au crayon sur le plan. Puis on déplace la planchette sur l'autre extrémité de la base et on vise à nouveau le point à lever. L'intersection des deux lignes donne alors la position, à l'échelle, du point à lever, sans avoir dû mesurer de distances. Cette méthode est donc particulièrement indiquée dans des terrains accidentés. Elle sera presque exclusivement utilisée dans le Jura au 19ème siècle.
fig. 5, arpenteur procédant à un levé à la planchette
Un auteur anonyme de l'époque a tenté de décrite ladite planchette:
"C'est le commun sentiment des meilleurs géomètres, que l'usage de la planchette, quand il s'agit de lever plans d'une longue étendue, soit le meilleur et le plus exact moyen et l'utilité qu'on reçoit par le dit instrument n'est point indifférent, puisqu'à proportion que le plan est formé, représentée la même figure et à juste du terrain dont on s'est proposé d'en lever le plan et comme l'usage pratique de cet utile instrument, est peu enseigné par les professeurs de l'art à leurs pratiquants; par conséquence, plusieurs même de profession en sont peu informés; motif par lequel je me suis proposé, avec la meilleure clarté possible d'en donner une idée de l'usage uniquement pour l'effet de l'opération ci-
. Suit alors une description de la même veine dont je vous fais grâce, préférant vous laisser observer une illustration extraite de Novum Instrumentum Geometricum, publié par Leonhard Zubler à Bâle en 1625.
fig. 6, schéma d'un levé à la planchette, Zubler, 1625
Une activité cadastrale très intense.
Dans le Jura, dès le début du 19ème siècle, on perçoit l'importance de disposer de plans parcellaires. Et on se met intensément à l'ouvrage. Sur l'ensemble du territoire du Jura historique, on peut établir, selon Georges Grosjean dans le Catalogue cantonal bernois de cartes et plans, l'inventaire suivant :
Une première génération de plans cadastraux
Sur 147 communes, on constate que seules 22 communes ne figurent pas dans ce premier inventaire. 35 géomètres y ont travaillé, sous la direction de M. de Jenner, commissaire pour le cadastre, puis de M. de Grandvillers, receveur général puis de M. Koller, directeur de l'impôt foncier. Ces plans ont été contrôlés par les ingénieurs vérificateurs Junod, Fix et Buchwalder. On dénombre parmi les noms cités 4 géomètres qui se sont occupés de 10 à 19 communes et 4 autres qui se sont occupés de plus de 20 communes. Ces mensurations ont été commencées par les autorités françaises sur la base de l'arrêté du 27 vendémiaire an XII puis continuées par le Gouvernement bernois. Les dates concernent la livraison ou l'approbation des plans; néanmoins, on peut constater que tout s'est déroulé entre 1803 et 1836, soit moins d'un tiers de siècle.
Une première génération de plans cadastraux
Sur 147 communes, on constate que seules 22 communes ne figurent pas dans ce premier inventaire. 35 géomètres y ont travaillé, sous la direction de M. de Jenner, commissaire pour le cadastre, puis de M. de Grandvillers, receveur général puis de M. Koller, directeur de l'impôt foncier. Ces plans ont été contrôlés par les ingénieurs vérificateurs Junod, Fix et Buchwalder. On dénombre parmi les noms cités 4 géomètres qui se sont occupés de 10 à 19 communes et 4 autres qui se sont occupés de plus de 20 communes. Ces mensurations ont été commencées par les autorités françaises sur la base de l'arrêté du 27 vendémiaire an XII puis continuées par le Gouvernement bernois. Les dates concernent la livraison ou l'approbation des plans; néanmoins, on peut constater que tout s'est déroulé entre 1803 et 1836, soit moins d'un tiers de siècle.
Tableau 1 : levés de la première génération (1804-
Deuxième génération 1838-
Une deuxième génération va confirmer cette efficacité des géomètres de l'époque. Des décrets bernois pris en 1838 et en 1845, ainsi que des instructions techniques de 1827 vont constituer les bases de cette nouvelle série de mensurations entreprises par 24 géomètres différents dont 9 se sont occupés de plus de 10 communes. Les plans contiennent les points de repérage, les limites des parcelles avec leur abornement, les numéros de parcelles, les bâtiments, routes, chemins, cours d'eau et limites de forêts, mais pas l'altimétrie.
L'inventaire établi par M. Grosjean concerne cette fois toutes les communes du Jura historique, sans aucune exception.
On percevra encore mieux l'efficacité des géomètres de cette époque en constatant que la troisième génération de plans, décrétée par le Code civil de 1912 ne couvre, après 77 ans, que moins des deux tiers de notre territoire!
Tableau 2, Levés de la deuxième génération (1838-
Les plans cadastraux : une exclusivité jurassienne au 19ème siècle
Depuis 1815, du point de vue législatif, le Jura a été complètement assimilé à Berne. Les lois étaient valables partout, de Frutigen à Montenol. Sauf pour le cadastre. En effet, le législateur a bien dû se rendre compte que l'état d'avancement des mensurations dans le Jura était manifestement différent de celui de l'Ancien Canton. Ce n'est en effet que depuis 1867 que la mensuration cadastrale est entreprise dans l'Ancien Canton et, à l'heure actuelle, elle n'est pas terminée puisque certaines communes de l'Oberland ne disposent encore d'aucun plan parcellaire!
Il a donc bien fallu enregistrer cette situation et doter le Jura de lois spécifiques pour le cadastre, lois actuellement encore en vigueur dans la partie du Jura restée bernoise.
Des questions ouvertes
Nous l'avons dit d'emblée, notre contribution n'a d'autre but que de susciter une recherche plus détaillée dans un domaine captivant. Nous faisons ici appel à nos lecteurs pour compléter la connaissance de notre patrimoine en communiquant les informations dont ils disposent par exemple sur le mode de financement de ces mensurations, sur les géomètres et leurs aides qui y ont travaillé, sur leurs méthodes de travail, de déplacement, sur les problèmes et les contestations soulevés par la délimitation et l'abornement des propriétés.
Jean-
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